Dans les mines de Potosi: Germinal au XXIème siècle...

Publié le par Yolou

Jeudi 1er avril: ah la galère pour rallier Potosi, pourtant à seulement 2h30 de route de Sucre! Impossible de trouver une place de libre dans un bus aujourd'hui. Forcément, c'est la semaine sainte de Pâques, et les transports sont pris d'assaut à cette période. On finit par trouver un taxi qui fait la liaison, mais celui-ci a la bonne idée de perdre son liquide de frein au milieu du trajet. Une grosse demi-heure pour réparer et on peut enfin rejoindre notre destination.

Potosi: 4090m d'altitude. C'est la ville de plus de 100 000 habitants la plus haute du monde (ça nous fait une belle jambe, hein?). L'endroit est classé au Patrimoine Mondiale de l'Humanité... et on comprend pourquoi: le centre historique est absolument magnifique. Visite de la Casa de la Moneda, lieu où étaient frappées jusqu'au milieu du siècle toutes les monnaies de Bolivie. Puis petit tour au couvent du coin où l'on découvre la vie en claustration. Un truc de dingue: jusqu'au milieu du XX°s, les jeunes filles qui entraient là n'en ressortaient plus jusqu'à leur mort; et interdiction formelle de se montrer au monde extérieur: la famille pouvait rendre visite une heure par mois, mais les conversations devaient se faire derrière un mur en bois opaque et sous la surveillance d'une mère supérieure; les repas n'étaient pas folichons non plus: pas le droit de parler et tu bouffais devant un crâne pour te rappeler la fragilité de ta vie. Bref, on savait s'éclater à l'époque! Le pire, c'est que le système a perduré jusque dans les années 70 et que les parents qui envoyaient leur enfant là-dedans devaient payer la modique somme de 100 000 US$! Débourser une fortune pour se faire cloîtrer, y'a un truc qui m'échappe... Aujourd'hui, le couvent abrite toujours une dizaine de soeurs, mais celles-ci n'ont plus rien à payer et viennent désormais par vocation et non par obligation (encore un truc qui m'échappe!).

Semaine Sainte en ce moment: chaque jour, toutes les écoles du coin défilent en procession dans les rues, avec fanfare et drapeau, portant une Vierge ou un Jésus ensanglanté sur sa croix (impensable en France, un truc pareil!). Le top du top: la reconstitution de la passion du Christ, avec des romains qui frappent un Jésus à fausse barbe et des femmes voilées éplorées plus vraies que nature. On s'est bien marré à regarder les mômes prendre leur rôle au sérieux sous le regard admiratif des parents!

Et puis on découvre les joies de Potosi la nuit: autant dans la journée le soleil réchauffe aisément la peau, autant dès la nuit tombée ça caille, un truc de dingue. Lou adopte la technique de l'oignon: elle empile les couches de fringues, pas moins de cinq épaisseurs! Et ce, même pour dormir (oui, parce que le radiateur est une invention totalement inconnue dans toute l'Amérique Latine). Quant à la douche, vaut mieux la prendre tant qu'il fait encore jour, si l'on veut éviter la mort par hypothermie...

Mais Potosi est surtout connue mondialement pour ses mines d'argent souterraines. Un des gisements les plus productifs du temps de la colonisation espagnole, sur lequel les conquistadores ont bâti leur faste et leur fortune pendant le siècle d'or -et dont la France a bien profité également! Il paraît qu'avec tout le minerai d'argent qui a été extrait depuis le XVI°s, on aurait pu construire un pont entre Potosi et Madrid! Une exploitation qui a coûté la vie à un nombre incalculable d'esclaves et d'Indiens...

Aujourd'hui, les mines souterraines de Potosi sont quasiment épuisées, mais continuent d'être exploitées par quelques 10 000 Boliviens en quête du filon miraculeux. Et ça se visite... Attention, expérience traumatisante. Peut-être le truc le plus éprouvant qu'on ait fait depuis le début de notre voyage, non pas physiquement -quoique- mais surtout psychologiquement. Bienvenue dans « Germinal » au XXI°s. La visite commence par un tour au marché des mineurs; l'usage veut qu'on offre aux mineurs des petits présents utiles en guise de pourboire: des feuilles de coca -ici, en Bolivie, tout le monde en mâche: ça permet de supporter l'altitude, ça filtre les poussières et ça sert de coupe-faim pour les mineurs, qui n'ont pas les moyens de déjeuner le midi-, des cigarettes et de l'alcool à 96 degrés -que les mecs avalent pur, ça permet de supporter la vie... On peut aussi acheter de la dynamite -en vente libre!- pour creuser les galeries. Puis direction le vestiaire, où l'on nous remet des bottes, un pantalon, une veste, un casque et une lampe frontale, équipement indispensable dans la mine. Enfin, montée à 4400m, où le minibus nous dépose devant l'entrée de la mine. Dernières recommandations de la guide: claustrophobes et insuffisants cardiaques, s'abstenir! Par ailleurs, la visite se fait à nos propres risques: la colline étant creusée de partout comme un gruyère, les effondrements et fuites de gaz sont fréquents; deux à trois morts par mois en moyenne, et on ne peut pas garantir une sécurité totale pour les touristes. Pourvu que ça ne nous tombe pas dessus...

C'est parti pour la visite: l'entrée de la mine est minuscule; à peine 2 mètres de haut sur 1,50 de large. Et au fur et à mesure que l'on s'enfonce, l'espace rétrécit. Plus de deux heures à avancer courbés, à ramper parfois -bizarrement cependant, aucun d'entre nous n'a ressenti de sensation de claustro-, à patauger dans 30cm d'eau, à éviter les renforts de bois écroulés. A l'intérieur de la mine, c'est le noir complet, à l'exception du faisceau de notre lampe. 35°C, une odeur de gaz insupportable qui prend les poumons: on transpire et on respire à grand peine, même à travers le masque qu'on nous a fourni. Et l'on découvre au détour d'une galerie des mineurs en train de bosser de façon « artisanale », exactement dans les mêmes conditions qu'au XIX°s: en train de creuser à la pioche, sans masque, parfois torse nus; en train de pousser des wagonnets de deux tonnes à la force des bras; en train de remonter des sacs de minerai par un système de cordes et de poulies. « Germinal », on vous dit... Les mecs rentrent là-dedans à 14 ou 15 ans et en sortent vers 45 ans pour mourir immédiatement. 10 à 12 heures de boulot par jour, sans manger, sans voir la lumière du soleil. Salaire moyen mensuel: 80 à 100 euros pour subvenir aux besoins de 6 ou 7 gamins. Faut le voir pour le croire: oui, ça existe encore au XXI°s des conditions de vie aussi intolérables... Nous, perso, on est un peu sous le choc... Le pire, c'est que bon nombre de Boliviens de tous les coins du pays choisissent délibérément de venir travailler ici, parce que les perspectives de salaires sont tout de même plus intéressantes qu'ailleurs. Et pourtant, tous semblent garder le sourire, et se montrent ravis de parler un peu avec des touristes et de recevoir les cadeaux achetés au marché -bien maigre consolation, toutefois, qui ne va pas changer leur condition... Puis rencontre avec le dieu de la mine « el Tio » -enfin, sa statue-; les mineurs le vénèrent et lui font régulièrement des offrandes de feuilles de coca et d'alcool pour gagner son estime et éviter les accidents. C'est l'occasion de tester nous-mêmes l'alcool à 96 degrés; très efficace pour se désinfecter totalement le système digestif... A boire pur par signe de virilité, sinon tu passes pour un homosexuel, nous explique la guide. Et si les mineurs boivent autant -en plus de mâcher la coca, qui te fout un peu dans les vapes-, c'est parce que demain ils ne savent pas s'ils seront encore vivants...

Bref, au bout de 2h15 à l'intérieur de la mine, on est content de ressortir! Et, une fois encore, au risque de se répéter, on mesure notre chance de n'être pas trop mal loti par la vie... Juste avant de quitter la colline, l'un des guides nous fait une démonstration d'explosion à la dynamite -après nous avoir fait poser devant l'objectif, avec la mèche allumée dans la main, même pas peur!-; vu la puissance du truc, ça m'étonne pas qu'il y ait autant d'accidents...

Retour à l'hôtel pour nous remettre de nos émotions. De toute façon, on n'est pas pressé: demain, dimanche, c'est jour d'élections municipales, et les Boliviens ont eu la lumineuse idée de voter une loi interdisant tout déplacement en véhicule ce jour-là. Motif: soi-disant pour obliger les gens à rester dans leur commune, afin qu'ils aillent voter. Totalement inefficace, à notre avis, mais bon... Résultat: pas un seul bus du samedi après-midi au lundi matin. Nous voilà coincés à Potosi! Si l'on ajoute qu'on est dimanche, et dimanche de Pâques en plus, autant dire que tout est fermé et que la vie s'arrête complètement dans tout le pays. Y'a plus qu'à tourner en rond dans la chambre d'hôtel et à prendre son mal en patience... Petit zapping devant la télé: 10 chaînes qui parlent des élections locales, 20 chaînes qui parlent de Jésus et de la messe de Pâques. Pas de doute, on va se faire chier, aujourd'hui...

Publié dans Bolivie

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N
<br /> Oulàlà mais ça devient déprimant !<br /> & dangereux !<br /> L'avantage c'est que vous avez eu du tps pr mettre votre blog & journal à jour !<br /> On devrait faire ça en France, tiens, on obtiendrait ptêtr moins de 50% d'abstention !<br /> Plein de bisoux & faites attention à vous.<br /> <br /> <br />
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S
<br /> Moi vous me faites un peu flipper, bande de drogués iconscients! mdrr<br /> Prenez pas trop de risques tout de même...<br /> En espérant que vous ne vous êtes pas fait trop chier ce fameux dimanche... ;-)<br /> Gros bisous<br /> <br /> <br />
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L
<br /> Ben moi j'espère bien que vous y avez gouté aux feuilles de coca !! Faudrait pas avoir fait tout ce voyage sans gouter aux saveurs locales non?! mdrrr<br /> En tout cas vous me faites kiffer les loulous, de vrais explorateurs!! ca fait plaisir de voir que vous n'avez pas froid aux yeux et que vous vivez l'expérience à fond !!!<br /> PLein de bisous !!!<br /> <br /> <br />
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M
<br /> olé, mais c'est de pire au pire ! dans quelques mois vous allez nous raconter votre saut en parachute sans parachute ? ou votre plongée sous marine sans bouteille ?!!<br /> on peut dire que vous ne vous ennuyez pas au moins !<br /> Pour information : éthymologiquement, "coca" se rapproche de "coca cola". Mais attention, ce nom est plutôt à rapprocher du mot "cocaïne", substance qui se diffuse dans le corps quand on en mâche<br /> les feuilles... Rassurez moi, vous n'y avez pas gouté ?!<br /> <br /> <br />
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P
<br /> Coucou les taupes<br /> Vous allez nous foutre la trouille souvent comme ça ?!... On aimerait quand même vous retrouver vivants et valides en juillet. Heureusement qu'on ne savait pas à l'avance... Totalement bluffante la<br /> visite des mines..... et des mineurs. C'est pire que dans un film. Au fil des semaines, vos expériences montent crescendo dans l'incroyable. Ça va s'arrêter où ? pas besoin d'acheter GÉO, on l'a<br /> gratos à chaque fois qu'on visite votre blog. Super !<br /> Big bisous à vous deux.... les survivants.<br /> <br /> <br />
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